RSE, et si on transformait l’essai ?

RSE, et si on transformait l’essai ?Mal comprise, mal anticipée, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est souvent perçue comme une contrainte. L’entreprise subit l’obligation légale au lieu d’en exploiter les avantages. Pourtant la RSE peut être un formidable levier de croissance. Elle ouvre le champ de nouvelles opportunités, notamment en matière sociale. Or, pour évoluer, il faut accepter de changer. Cela suppose une remise en question profonde du fonctionnement et du mode de management de l’entreprise. Il faut aussi des critères de performance fiabilisés, car il n’y a pas de vision à long terme sans indicateurs analytiques et objectifs chiffrés.

L’atonie économique, le chômage de masse et la désindustrialisation ont poussé les entreprises européennes à reconsidérer leur modèle de développement. Il a fallu chercher des solutions alternatives, de nouveaux relais de croissance qui ne soient pas seulement financiers. En déclinant au sein même des entreprises les concepts de développement durable, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) a fait émerger un nouveau modèle plus attentif aux personnes, plus soucieux de la préservation de l’environnement et plus responsable en matière de gouvernance d’entreprise.

Le maître mot de ce modèle vertueux est la durabilité. La préservation des ressources naturelles et, fait nouveau, du capital humain, devient en effet une alternative crédible dans la stratégie de croissance des entreprises. Pour accélérer ce mouvement, la France a décidé de légiférer. Depuis 2014, toutes les entreprises françaises de plus de 500 salariés sont dans l’obligation de publier des données relatives aux trois piliers – environnementaux, sociaux et économiques – de la RSE, dans un document appelé « Reporting RSE » ou « Reporting extra-financier ». Le cadre légal est celui de la loi de juillet 2010 dite « GRENELLE II » et de son article 225. Le législateur impose de publier les données RSE sous forme de critères, mais aussi d’en faire vérifier la sincérité par un organisme tiers indépendant à partir de 2017 (dès 2012 pour les sociétés cotées). Cette vérification se concrétise notamment par la délivrance de certifications.

Le 2 octobre dernier, Enjeux Les Echos présentait le premier classement jamais réalisé sur l’engagement des grandes sociétés françaises en matière de responsabilité sociale et environnementale. Désormais, les organisations savent que la richesse ne se valorise pas uniquement dans les comptes d’exploitation. La qualité des politiques RSE fait maintenant partie intégrante des critères d’évaluation des entreprises et le jugement porté sur la sincérité de l’engagement d’une société en matière de développement durable peut avoir beaucoup plus de valeur qu’une très coûteuse campagne de publicité nationale. C’est la voie ouverte à d’autres sources de financement, publiques ou privées, mais également à de nouveaux marchés tels que les appels d’offres publics réglementés, pour lesquels les critères ESG (acronyme de « Environnement, Social et Gouvernance ») sont fondamentaux.

Pour les entreprises qui s’engagent dans une véritable démarche (et cela ne concerne pas seulement les entreprises du CAC 40), la diffusion d’informations RSE est devenue un atout stratégique. Pour les autres, elle n’est qu’une obligation légale supplémentaire, difficile à mettre en place, faute de méthodologie et d’outils.

Passer de la contrainte légale à la démarche pro-active

Pour que la RSE soit créatrice de valeur sur le moyen et long terme, elle ne doit pas être considérée comme une contrainte légale supplémentaire, mais bien comme une opportunité de repenser son modèle de croissance économique. L’entreprise doit en faire un des piliers de son développement. Pour cela, elle doit s’orienter vers une démarche proactive et structurée.

La première chose est d’avoir une approche transversale. L’ensemble des acteurs de l’entreprise doit être sensibilisé à la démarche et engagé dans une conduite de changement, car seul un projet partagé par tous peut être porteur de progrès en interne et en externe. Le chef d’entreprise doit donner l’impulsion : il est moteur de ce changement.

L’action doit être coordonnée, planifiée et toutes les directions doivent être impliquées : pas seulement la direction du développement durable si elle existe, mais également la direction marketing, la direction des ressources humaines, la direction financière, et la direction du développement.

Adopter une démarche RSE suppose de passer au crible l’organisation de l’entreprise, de faire l’analyse de ses dysfonctionnements, et de faire évoluer son modèle de développement si besoin est. Une remise en cause profonde des pratiques peut s’avérer nécessaire.

Les grands groupes ont développé des approches concrètes et très opérationnelles, pouvant également impliquer leurs partenaires. C’est le cas d’Airbus Group. L’industriel n’hésite pas à demander à ses prestataires et à ses fournisseurs d’évaluer sa performance en tant que donneur d’ordres. Une démarche qui a pour effet de resserrerles liens industriels entre Airbus Group et ses partenaires. Depuis 2011, GEODIS, leader français du transport et de la logistique, intègre des critères RSE dans les grilles d’analyse et les contrats types, afin d’évaluer les fournisseurs et les sous-traitants.

La gestion du capital humain, au cœur de la performance des entreprises

La RSE est souvent appréhendée sous l’angle environnemental. Or, le volet social du développement durable, certes moins médiatisé que celui de l’environnement, est tout aussi primordial.

L’environnement concurrentiel peut pousser les entreprises à rogner sur les avantages sociaux et les salaires, à se focaliser sur la productivité au dépend de l’épanouissement des salariés. Or, cette prise en compte insuffisante du bien-être des personnes et de leur santé n’est pas rentable à long terme. A l’inverse, une bonne gestion du capital humain est source de performance.

L’absentéisme dû aux maladies professionnelles et aux risques psychosociaux peut en effet être très coûteux. Le coût direct (lié à l’indemnisation financière en accidents du travail et l’attribution éventuelle d’une rente d’incapacité) et le coût indirect (intérim, perte de production, dégradation du climat social et par voie de conséquence de l’image de la société) pèsent lourdement sur les comptes d’exploitation des entreprises, mais également sur la collectivité toute entière.

Les études dans ce domaine le confirment. En France, le coût social du stress (dépenses liées aux soins, à l’absentéisme, aux cessations d’activité et aux décès prématurés) se situait en 2007 entre 2 et 3 milliards d’euros (étude INRS et Arts et Métiers ParisTech). Les chiffres du coût social des TMS (troubles musculo-squelettiques) donnent également le vertige. En 2010, on a recensé 43241 TMS, soit 85 % des maladies professionnelles reconnues par la CPAM. Le coût moyen direct par salarié pour les entreprises (payé par la cotisation AT/MP) avoisinait les 21 000 €, pour une perte cumulée de 9,7 millions de journées de travail (source : CNAMTS 2010).

Pour prévenir les risques psycho-sociaux, l’Etat a choisi de légiférer. Ainsi, en vertu de l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». La jurisprudence a précisé la responsabilité de l’employeur dans ce domaine, en substituant à l’obligation de moyen, une obligation de résultats dans la protection de la santé de ses employés.

Des outils pour mesurer, piloter et accroître la performance sociale de l’entreprise

Il existe des outils pour mieux appréhender le cadre légal de la RSE, en faciliter la mise en œuvre opérationnelle et en tirer profit pour accroître sa performance.

Le premier avantage de ces outils de « reporting » est bien évidemment économique. La remontée plus rapide des informations permet de réduire les coûts en frais de personnel tout en dégageant du temps aux opérationnels au profit d’autres tâches.

L’autre avantage – et c’est tout l’objet de cet argumentaire – est d’alerter l’entreprise en cas de dégradations des conditions de travail. Parmi ces indicateurs, le taux d’absentéisme est celui que les investisseurs jugent le plus pertinent pour mesurer la performance sociale d’une entreprise. En effet, comme on l’a vu plus haut, un taux d’absentéisme important se traduit par des coûts importants pour l’entreprise (recours à l’intérim, désorganisation des équipes, baisse de productivité….).

Pour prévenir l’absentéisme, l’entreprise devra élaborer un plan d’action par étapes. Avant d’agir, il faut procéder à un bon diagnostic de la situation. La première étape consistera ainsi à mesurer l’absentéisme grâce à des indicateurs fiables et pertinents et des outils de mesure adaptés (tableaux de bord, alertes). Il y a en effet différents types d’absentéisme qu’il faudra hiérarchiser (absence injustifiée, accident du travail, maladie professionnelle ou maladie en régime général).

La deuxième étape visera à analyser les causes de ces absentéismes. L’absence injustifiée estelle due à un climat social tendu, au stress ? La maladie est-elle d’origine physique (grippe) ou psychologique (dépression) ? L’absence pour maladie professionnelle est-elle la conséquence de mauvaises conditions de travail (engendrant des TMS par exemple) ou de tensions suites à des conflits internes (harcèlement moral, problème relationnel dans un service…) ? Etc.

Après avoir déterminé l’origine de l’absentéisme et chiffré le préjudice, l’organisation devra engager des actions concrètes pour, sinon y remédier, en réduire les causes. Quelles que soient les actions retenues (programme d’accompagnement des managers, formation et sensibilisation des personnels aux problématiques de RPS, médiation, réorganisation d’un service…) il est nécessaire de se fixer des objectifs selon un horizon à temporalité variable (court, moyen et long terme).

Enfin, il faut mobiliser l’ensemble des personnes concernées : le salarié, les membres de son équipe (s’il s’agit d’un conflit de personnes), sa hiérarchie mais également le médecin du travail, les délégués du personnel et les membres du C.H.S.C.T. Des réunions régulières devront être mises en place pour mesurer et évaluer l’efficacité des plans d’actions préconisés.

L’instauration précoce d’une politique de prévention limite durablement et financièrement les facteurs de dégradations des conditions de travail. C’est à cette condition que l’entreprise peut renouer avec la performance sociale.

En travaillant sur la qualité de vie au travail – car c’est de cela dont il s’agit – l’entreprise réduit les risques psychosociaux, le stress et par conséquent, l’absentéisme. Les bénéfices sont nombreux et concernent aussi bien la motivation et l’engagement des salariés que leur santé ou la performance financière de l’entreprise (réduction des absentéismes et du turnover, baisse des cotisations patronales accidents du travail, augmentation de la productivité). En septembre 2014, l’agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (UE-Osha) a publié une étude sur le coût des risques psychosociaux. Ce rapport ne concernait pas seulement l’analyse des coûts, mais incluait également une analyse des retours sur investissements des démarches de prévention mises en place par les entreprises. Il ressort de ce rapport que pour un euro investi dans la prévention, le bénéfice net par salarié était en moyenne de 5 euros l’année suivante et pouvait aller jusqu’à plus de 13 euros dans un délai de 2 à 5 ans (variable selon le type d’entreprise).

La prise en compte et le pilotage de la qualité de vie au travail permet ainsi de favoriser le cercle vertueux : meilleures conditions de travail – motivation – productivité.

A propos de Bruno Colin

Bruno COLIN a démarré sa carrière dans le secteur bancaire et assuranciel jusqu’en 1998 où il rejoint le métier du conseil opérationnel en tant que Manager commercial sur la gestion administrative et l’optimisation financière des accidents du travail et des maladies professionnelles. 

Il a encadré des équipes – commerciales et conseil – dédiées à l’accompagnement des entreprises sur la gestion déclarative du risque professionnel et sa réparation financière. En 2014, il rejoint un cabinet spécialisé sur la prévention des risques professionnels, la gestion de la performance ressources humaines et la qualité de vie au travail. 

Début 2015, il intègre le cabinet IENA en tant que Directeur associé IENA MANAGEMENT pour porter une offre axée sur l’intégration et le conseil. 

Sa mission principale consiste à accompagner les entreprises sur le volet social de la RSE : de la fourniture automatisée d’indicateurs sociaux (« PILOT RSE ») à la mise en place de stratégie « sur-mesure » de prévention des risques professionnels (identification et plans d’action visant à diminuer l’impact des RPS et des TMS). 

Son objectif est d’aider les entreprises à normaliser et à promouvoir une meilleure qualité de vie au travail, facteur de performance sociale durable.



FrenchEnglish